Le bois sous le feu des projecteurs – possibilités et limites des analyses de cycle de vie
Rapport de la 60ème édition du forum de discussion ACV, qui s’est tenue le 4 décembre 2015 à l’EPF de Zurich
L’intérêt croissant manifesté par la société de consommation pour les produits et les énergies durables se traduit également par une augmentation de la demande en bois. Il est dès lors de plus en plus urgent de se demander comment le bois et ses dérivés peuvent être mis à disposition d’une manière écologique. Le forum a ouvert de nouvelles perspectives de réponse en examinant à la loupe les différentes approches de l’analyse du cycle de vie et en rétablissant la vérité sur quelques mythes. Les analyses de cycle de vie (ACV) sont des analyses systématiques des impacts environnementaux exercés par les produits sur l’ensemble de leur durée de vie, de l’extraction des matières premières à l’élimination.
Auteure: Lucienne Rey (texterey.ch)
A propos de la manifestation
La 60ème édition du forum de discussion ACV, qui s’est tenue le 4 décembre 2015 à l’EPF de Zurich, était entièrement consacrée à l’exploitation écologique de la ressource bois. Cette focalisation thématique avait été suscitée par les conclusions d’études menées en Suisse dans le cadre du Programme national de recherche PNR 66 "Ressource bois" encouragé par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS). Accompagnés d’interventions d’experts, les résultats recueillis ont été présentés pour la première fois à un large public. Intitulée "Environmental Use of Wood Resources" (Exploitation écologique des ressources en bois), la manifestation était organisée conjointement par l’EPF (Bernhard Steubing, Niko Heeren et Florian Suter) et l’EFEM (Roland Hischier) et elle a attiré des intervenant-e-s de toute l’Europe. Un public international était également au rendez-vous, 30 des 70 participant-e-s ayant fait le déplacement à Zurich depuis l’étranger. Les projets présentés ont fourni un aperçu intéressant des questions et des innovations sur lesquelles planchent actuellement les spécialistes suisses et européens. Quatre blocs thématiques abordaient l’ACV du bois et de ses produits dérivés à partir de différentes perspectives. Outre les banques de données dédiées aux bilans écologiques (bloc 1), le développement de méthodes d’évaluation de l’impact environnemental (bloc 2) a également été évoqué. Les calculs de l’empreinte écologique de différents produits innovants dérivés du bois (bloc 3) ont permis d’associer recherche et pratique. Les projets présentés dans le cadre du bloc 4 portaient sur l’ensemble (ou de grandes parties) de la chaîne de création de valeur du bois, qui englobe non seulement la gestion des forêts mais aussi les différentes utilisations du matériau (fabrication de biens ou production d’énergie).
Résumé
Nouvelles données d’inventaire pour la chaîne de création de valeur européenne
Les spécialistes issus de la pratique ont été heureux de constater au début du 60ème forum ACV que les inventaires relatifs à la filière bois de la banque de données écologiques internationale ecoinvent (version 3.2) avaient récemment été actualisés et considérablement enrichis. Cette mise à jour cofinancée par l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) couvre six secteurs différents de la chaîne de création de valeur, de la sylviculture à l’incinération en passant par les produits de scierie. Les données concernant les procédés de sylviculture ne sont plus seulement fournies par l’Allemagne mais intègrent également des informations en provenance de Suède et de Suisse. Par rapport aux versions antérieures d’ecoinvent, la chaîne de création de valeur a été modifiée de manière à différencier les produits issus des scieries et à élargir aux produits de protection le secteur de la conservation du bois stocké. Autre nouveauté : les données plus réalistes relatives aux différentes densités forestières permettent de quantifier les processus de disparition. Les calculs s’en trouvent certes plus compliqués mais d’autant plus solides. Quelques produits secondaires, parfois non pertinents pour la Suisse mais incontournables pour d’autres pays, ont par ailleurs été intégrés à la chaîne de production de valeur. Les motivations demeurent les mêmes mais la précision accrue des données permet de mieux les utiliser dans des contextes variés (et également dans d’autres pays).
Les échanges menés durant le forum ont fait apparaître que les utilisateurs souhaiteraient que ces données soient encore élargies. A cet égard, un des objectifs devrait être que les nouvelles données soient intégrées à la liste de la Conférence de coordination des services de la construction et des immeubles des maîtres d'ouvrage publics (KBOB).
(Intervenant: Frank Werner, Environnement et Développement)
Défis méthodiques
La prise en compte des effets climatiques lors de l’ACV des produits dérivés du bois a été examinée à travers une étude approfondie de la littérature disponible. Il convient de garder à l’esprit qu’une consommation neutre en termes climatiques ne peut se concevoir qu’à long terme en raison des décalages temporels. En effet, la capacité d’absorption des forêts peut varier dans le temps, tout comme l’utilisation du sol en un lieu donné. L’albédo joue également un rôle non négligeable dans la mesure où un sol nu réagit différemment par rapport à un sol couvert de végétation. De tels facteurs revêtent une importance certaine mais ne sont que partiellement pris en compte par les données d’inventaire. Lorsqu’un carburant classique est comparé au bioéthanol, une ACV peut donner des résultats nettement différents, qui dépendent du degré d’intégration des données climatiques pertinentes (en particulier, des perturbations de l’équilibre naturel du sol, de l’albédo et des émissions de CO2 biogènes). Si l’évaluation environnementale du statu quo – à laquelle il est souvent recouru – est comparée à une ACV dynamique et prévisionnelle, les différences apparaissent encore plus nettement. Selon une étude, les conséquences climatiques du remplacement des produits de référence par des alternatives à base de bois révèlent d’importantes variations en fonction de l’approche ACV retenue. Dans les cas extrêmes, il peut ainsi être attesté que la substitution du biométhanol au méthanol issu du gaz naturel exerce des effets climatiques positifs notables alors qu’une ACV réalisée selon une autre approche parvient à la conclusion que l’impact environnemental d’une telle substitution serait extrêmement nuisible pour le climat. Les résultats peuvent donc se révéler diamétralement opposés selon l’approche employée. Et l’explication en est qu’il n’est pas encore clairement établi comment les forêts interagissent avec le climat et comment ces interactions peuvent être utilement représentées dans un bilan écologique. Les connaissances font aussi défaut en ce qui concerne les conséquences de la production de biomasse. Les modèles existants se prêtent donc mal à la représentation de ces interactions et la question de savoir comment la recherche doit gérer ces insuffisances ne peut que rester en suspens pour le moment.
Les discussions ont confirmé que les impacts climatiques induits par l’homme doivent être différentiés des effets naturels. Les échanges ont par ailleurs permis de mettre en lumière qu’en matière de carbone, il serait important de pouvoir définir des priorités tenant compte des différentes sources et activités l’ayant généré. Il ne fait en tout cas aucun doute que les approches ACV existantes offrent une large marge de manœuvre quant aux précisions qui peuvent leur être apportées.
(Intervenante: Frida Røyne, SP Suède)
Les flux de carbone biogènes et leurs conséquences sur le climat
Le bois issu de la gestion forestière durable a longtemps été considéré comme neutre en termes climatiques. De récents travaux démontrent que ceci n’est pas nécessairement le cas car le prélèvement et l’oxydation du bois en CO2, lors de sa combustion par exemple, exercent un effet climatique jusqu’à ce que le CO2 émis soit à nouveau fixé sous forme de biomasse. Des études révèlent que les conditions climatiques, comme la température annuelle moyenne et les précipitations influencent notablement la manière dont une certaine quantité de bois utilisée contribue au réchauffement global. Il est aussi pertinent d’inclure dans ces observations les espèces d’arbres, leur période de renouvellement et le taux des résidus enlevés. Mais les difficultés ne s’arrêtent pas là car les effets climatiques des produits dérivés du bois varient également en fonction de leur durée de vie. Le principe de base est que le potentiel d’effet de serre global est nul lorsque le CO2 demeure emmagasiné dans le produit durant une durée égale à la moitié de la période de renouvellement de la plante qui a fourni la matière première nécessaire à sa production. Divers mythes, qui imprègnent les controverses liées au réchauffement global, sont réfutés par la recherche. L’hypothèse selon laquelle le CO2 libéré dans un lieu par la déforestation est compensé par la retenue de gaz à effet de serre dans un autre doit être démentie dans la mesure où elle contredit une définition cohérente des limites des systèmes. Les résultats scientifiques recueillis jusqu’à présent s’accordent pour souligner que les facteurs biologiques et physiques exerçant une influence climatique doivent obligatoirement être intégrés aux bilans écologiques. Il existe sinon un risque que des fonds soient investis dans des projets de protection du climat peu efficaces, voire même contreproductifs.
Les discussions menées ont permis de confirmer qu’il serait nécessaire que le choix de la période d’observation fasse l’objet d’une réflexion approfondie avant qu’il soit procédé à une ACV.
(Intervenant: Francesco Cherubini, Institut Norvégien de la Science et de la Technologie NTNU)
Estimer correctement les modifications de la biodiversité
La partie méthodologique du forum s’est clôturée sur des travaux consacrés à la quantification des effets de l’exploitation du sol sur la biodiversité à diverses échelles (locale, régionale, globale). Les observations réalisées au niveau local font apparaître que l’intensité de l’exploitation forestière influence le nombre des espèces animales et végétales. Les surfaces sur lesquelles des coupes à blanc ont été pratiquées n’accueillent plus que la moitié des espèces que l’on peut trouver dans une forêt proche de l’état naturel. A l’échelle locale, des modélisations du nombre d’espèces par zone ont été combinées à des indicateurs de vulnérabilité. Cette approche permet de mettre en évidence les régions du monde où l’exploitation du sol induit une menace particulière pour la biodiversité. Les régions tropicales et les îles sont ainsi fortement touchées par la perte de biodiversité et, ce, d’autant plus qu’elles abritent un grand nombre d’espèces menacées. L’étude a finalement examiné dans quelle mesure la production globale de bois rond affecte la diversité des espèces. Madagascar a été cité comme un pays affichant une perte élevée d’espèces par kilomètre carré de bois récolté. A l’inverse, l’Inde risquerait des pertes moindres car la plupart du bois provient de plantations et que les forêts proches de l’état naturel demeurent épargnées. Les résultats soulignent qu’il est important d’adopter une vision globale des importations de produits dérivés du bois afin de pouvoir évaluer correctement les dommages environnementaux. Le manque de données disponibles sur l’intensité de l’exploitation forestière à l’échelle mondiale ainsi que sur les groupes taxonomiques des champignons et bactéries constitue une difficulté supplémentaire. Les connaissances acquises apportent une contribution importante au projet "Exploitation écologique des ressources de bois en Suisse" qui a été mené sous la direction de Stefanie Hellweg à l’EPF Zurich dans le cadre du PNR 66.
Durant les discussions, il a été fait mention d’études qui indiquent que les forêts exploitées de manière intensive abritent dans certains cas autant d’espèces que les forêts proches de l’état naturel. Au niveau international, la Suisse occupe donc une position privilégiée dans la mesure où les rendements sont relativement élevés alors qu’il n’existe parallèlement que très peu d’espèces endémiques menacées de disparition. L’éventail des espèces représentées évolue néanmoins souvent aux dépens des espèces indigènes. Les modifications des conditions de luminosité dues à la sylviculture peuvent certes permettre à des espèces nécessitant plus de lumière de s’implanter mais elles signent la disparition de celles qui fuient les rayons du soleil. Ces déplacements au sein des espèces sont difficiles à appréhender. Les différents degrés de perte de biodiversité sont importants à plusieurs titres. La disparition globale de certaines espèces est irréversible et les approches adoptées devraient par conséquent placer cette question au premier plan. Parallèlement, la biodiversité locale revêt cependant aussi une importance capitale dans la mesure où elle garantit le fonctionnement des écosystèmes.
(Intervenant: Abhishek Chaudhary, EPF de Zurich)
De l’empreinte écologique des maisons en bois
Lorsque des bâtiments doivent être rénovés ou renouvelés, la question du rôle du bois et des avantages écologiques apportés par l’utilisation de cette ressource renouvelable se pose. Ces interrogations et beaucoup d’autres étaient au centre des études réalisées lors du projet mené par Stefanie Hellweg et son équipe dans le cadre du PNR 66. Le couplage de plusieurs jeux de données a permis d’établir un inventaire du parc immobilier suisse et d’en tirer, selon le type et l’année de construction des habitations, des conclusions sur les matériaux de construction utilisés. Ces indications permettent à leur tour d’estimer les futurs flux de masse dus aux constructions neuves, aux rénovations et aux démolitions et d’établir des déductions quant aux matériaux qui pourraient être nécessités ou utilisés. L’étude d’impact intègre également des hypothèses sur les besoins en chauffage, établies sur la base d’une comparaison simulée des constructions massives traditionnelles et des maisons en bois. Il apparaît que les bâtiments en brique ou en béton emmagasinent mieux la chaleur que les constructions en bois de qualité équivalente, si bien que les besoins en chauffage de ces dernières se révèlent légèrement supérieurs sur l’ensemble de l’année. Néanmoins, la production des matériaux utilisés pour la construction d’une maison en bois se traduit par des émissions de gaz à effet de serre réduites de moitié. Selon l’analyse de sensitivité présentée, si l’on prend en considération l’ensemble de son cycle de vie, la maison en bois réalise dans la plupart des cas de bien meilleurs scores qu’un bâtiment similaire en béton ou en briques. La prochaine étape consiste désormais à établir des scénarios prévisionnels sur la base de différents taux de rénovation et de construction et des différents standards d’isolation utilisés pour la construction des maisons.
Lors des discussions, le fait que la méthode utilisée permettrait aussi de parvenir à des conclusions régionalement différenciées sur l’utilisation du bois au sein du parc immobilier a éveillé l’intérêt. L’objectif est de déterminer dans quelle mesure le bois usagé issu de constructions existantes pourrait être récupéré comme matière première secondaire ou à des fins de valorisation énergétique.
(Intervenant: Niko Heeren, EPF de Zurich) Des travaux de recherche effectués en Norvège viennent confirmer l’impact environnemental positif de l’utilisation du bois dans la construction. Un immeuble en bois de 14 étages a été érigé à Bergen en 2015. Le CO2 qui y est emmagasiné correspond à la quantité que dix millions d’automobiles produiraient si elles traversaient le pont de Puddefjord situé à proximité immédiate. La comparaison de différents types de sols révèle que ceux en béton émettent deux fois plus de CO2 que ceux en bois. Le faible poids du bois est aussi particulièrement avantageux. Les constructions en bois ne pèsent qu’un tiers du poids de celles en béton et en acier. Lors du remplacement de certains ouvrages, il est ainsi possible d’utiliser les anciennes fondations, ce qui réduit notablement les émissions de CO2. Lors de la comparaison de bâtiments aux fonctionnalités équivalentes, il serait donc nécessaire de prendre en compte non seulement la protection contre le feu et l’isolation phonique mais aussi le poids et le volume des matériaux et des structures. Afin que les recherches effectuées sur les matériaux trouvent une application pratique, des standards à caractère contraignant doivent cependant encore être définis. A l’heure actuelle, ces standards rencontrent peu d’attention dans le secteur de la construction, si bien que les bâtiments en bois nouvellement bâtis sont difficiles à évaluer. Il n’en reste pas moins que les éléments de construction en bois disposent d’un important potentiel de protection du climat lorsqu’ils remplacent des éléments en béton.
(Intervenant: Lars Tellnes, Norwegian Institute of Wood Technology)
Bioénergie: les rendements estimés au banc d’essai
Une étude centrée sur le canton de Vaud se consacre au potentiel énergétique des réserves de bois existantes. Dans ce canton, la consommation de bois progresse constamment alors que les ressources y sont limitées. Lors de la mise en œuvre de la stratégie énergétique, le bois, en tant que matière première renouvelable, pourrait néanmoins jouer un rôle important à condition qu’il soit utilisé de manière efficiente. Les calculs révèlent un potentiel considérable dans la mesure où 10% des besoins en énergie, voire même 15% dans les conditions définies par la nouvelle politique énergétique, pourraient être couverts par le bois dans le canton de Vaud. Les technologies employées pour transformer le bois en énergie (production mobile de granulés, granulés pré-séchés, transformation en gaz, pyrolyse) n’affichent pas toutes le même rendement. La transformation en gaz réalise les meilleurs scores avec un rendement supérieur de 26% à celui d’un chauffage conventionnel utilisant des copeaux de bois, à condition toutefois que la chaleur résiduelle produite par le processus de transformation soit également récupérée. En termes de conséquences environnementales, la transformation du bois en gaz présente également un bilan satisfaisant. Les ACV démontrent ainsi leur valeur pour des décisions politiques raisonnablement fondées : le bois devrait être prioritairement transformé en électricité et la chaleur résiduelle utilisée à des fins de chauffage. L’étude se poursuit dans le but de déterminer le nombre de systèmes de chauffage devant être changés et remplacés par d’autres technologies dans le canton de Vaud.
(Intervenant: Denis Bochatay, Quantis)
En Bavière, la question de savoir comment l’utilisation du bois à des fins énergétiques pourrait être optimisée en termes de conséquences environnementales est également d’actualité. Dans ce Land, le bois fournit en effet 83% du chauffage issu d’énergies renouvelables. Si l’on considère l’ensemble du cycle de vie des différents types de bois-énergie, les bûches traditionnellement utilisées dans les poêles à bois affichent des performances avantageuses pour ce qui est des gaz à effet de serre. Elles ne nécessitent en effet aucune préparation compliquée et permettent d’économiser sur les transports dans la mesure où les consommateurs peuvent généralement s’approvisionner localement. Par contre, si l’on se focalise sur les émissions de particules fines, les poêles à bois traditionnels obtiennent les plus mauvais résultats. Selon le bilan global, si le bois-énergie utilisé dans l’ensemble de la Bavière ne représente que 1,7% des émissions de gaz à effet de serre dues au chauffage, il est à l’inverse responsable de 80% des émissions de particules fines. Le concept énergétique bavarois prévoit d’augmenter de 15% l’utilisation du bois. Cette augmentation aurait certes pour conséquence de réduire de 2% les émissions de gaz à effet de serre mais ferait augmenter de plus de 11% les émissions de particules fines. Un renoncement total au bois en tant que source d’énergie exigerait à son tour une utilisation accrue de fioul, de gaz naturel et d’électricité ce qui, par rapport à la situation actuelle, impliquerait de libérer 6,4 millions de tonnes supplémentaires de gaz à effet de serre dans l’environnement. L’étude révèle également que même en mobilisant toutes les sources disponibles, le bois ne pourrait pas représenter plus d’un quart de l’énergie issue des matières premières renouvelables.
Une fois de plus, la preuve est ainsi apportée que les ACV sont extrêmement utiles lorsqu’il s’agit d’évaluer des objectifs politiques. Les discussions ont également confirmé que les possibilités d’intervention se heurtent à certaines limites : ainsi, les poêles à bois traditionnels alimentés avec des bûches, qui sont certes peu efficaces en termes de rendement et rejettent beaucoup de particules fines, sont toutefois largement répandus, en particulier en zone rurale, et une génération serait nécessaire pour les remplacer. Le passage des bûches aux granulés n’est d’ailleurs pas sans poser quelques problèmes. Le facteur temps joue en règle générale un rôle prépondérant dans les décisions politiques. Actuellement, la meilleure mesure à court terme qui puisse être prise consiste à préserver le système existant. La plupart des gens se fournissent en effet en bois de chauffage dans leur environnement immédiat alors que les granulés, dont la production est très exigeante, peuvent éventuellement être importés de Russie ou du Canada.
(Intervenant: Christian Wolf, UT Munich)
Des structures légères en bois au bioraffinage – zoom sur les produits innovants à base de bois
Différents laboratoires effectuent actuellement des recherches sur les panneaux de fibres de bois et les éléments de revêtement mural et il est approprié d’étudier leur impact sur l’environnement. Le produit « holzpur », un panneau en bois de pin et de sapin qui ne comporte ni colle, ni agents de protection, a notamment été présenté. (Intervenant : Philippe Stolz, treeze Ltd.) Autre matériau dévoilé : un panneau de particules ultraléger dont le cœur est constitué de mousse biogène. (Intervenante: Christelle Ganne-Chédeville, Haute école spécialisée bernoise). Ce dernier produit est actuellement développé sous la direction de Heiko Thoemen dans le cadre du PNR 66. Des études confirment le potentiel des deux produits en termes de respect du climat. Uniquement constitués de bois, les panneaux holzpur réalisent des scores nettement meilleurs côté ACV que les panneaux collés conventionnels et sont particulièrement avantageux en raison de la consommation de sol comparativement faible liée à la production des matières premières et de la faible consommation d’énergie exigée par le processus de séchage. En ce qui concerne les panneaux ultralégers, il convient d’évaluer les avantages et les inconvénients liés à leurs différents impacts environnementaux. Leur potentiel d’émission de gaz à effet de serre est certes plus restreint que celui des panneaux de particules classiques mais leur poids dans la balance écotoxique est plus lourd dans la mesure où la production de mousse recourt à des polylactides (PLA). Traiter le bois afin d’améliorer sa résistance aux intempéries exerce également un impact sur l’environnement. Différents procédés peuvent être utilisés à cette fin : des méthodes thermiques, chimiques ou par imprégnation. Si les effets positifs du traitement doivent entrer en jeu durant l’utilisation, la modification du bois intervient dès la phase de production, tandis que le problème de la pollution se pose éventuellement uniquement au moment de l’élimination des matériaux concernés. Lorsqu’il s’agit de déterminer l’impact environnemental du bois traité, il convient donc de prendre en compte toutes les utilisations en cascade. Pour les acteurs de la pratique, responsables des applications dans la construction, il serait important de disposer de labels permettant de sélectionner des produits traités de la manière la plus écologique possible. Des discussions sont actuellement en cours afin de développer des standards correspondants qui permettraient une certification uniforme des produits.
(Intervenante: Andreja Kutnar, Université de Primorska)
Le bois ne sert pas seulement de matériau de construction ou de source d’énergie, il peut également être utilisé comme matière première afin de fabriquer, par exemple, des produits chimiques. Le terme de bioraffinage est aussi utilisé dans cette approche dont le point d’achoppement est que la transformation du bois en produit fini peut s’effectuer par le biais de différentes chaînes de réactions. Le sucre, qui peut être fabriqué par catalyse acide (saccharification du bois) ou hydrolyse enzymatique, en est un exemple. Il serait donc avantageux de disposer d’un instrument qui permette une comparaison précoce des différentes chaînes de réactions impliquées lorsqu’on désire obtenir telle ou telle matière première à partir du bois. Etant donné qu’il n’est quasiment pas rentable pour une entreprise de se cantonner à la fabrication d’un seul produit, il faut veiller à ce que les sous-produits issus d’une réaction puissent être utilisés pour d’autres applications. Les ACV peuvent contribuer à améliorer la gestion du bioraffinage. Le concept nouvellement développé de la « Wald-Box », un outil permettant l’évaluation de différentes chaînes de production chimiques à base de bois, permet de chiffrer l’efficience et les conséquences environnementales de différents procédés de bioraffinage dès la planification des installations correspondantes.
(Intervenant: Merten Morales, EPF Zurich)
Le bois est utilisé de manière intense en Finlande et les ACV peuvent permettre de simuler la production de biomasse dans différentes conditions, de modéliser les émissions de gaz à effet de serre biogènes et générées par l’homme et de calculer les conséquences climatiques de différents concepts d’exploitation forestière. Ces analyses permettent à leur tour d’élaborer des recommandations quant à savoir, par exemple, quel serait le profil d’âge des forêts qui se révèlerait le plus favorable à l’environnement. Les données relatives aux émissions de CO2 dans la biosphère et l’anthroposphère aident à mieux comprendre le rôle de la forêt dans le ralentissement du réchauffement climatique. Les résultats fournis par les ACV confirment en tous cas que remplacer les énergies et les produits fossiles par le bois constitue une possibilité efficace de lutter contre le changement climatique. Une réserve de bois plus importante ou l’emploi de fertilisants pourrait même contribuer à renforcer encore les effets positifs exercés par l’utilisation du bois sur le climat. Néanmoins, les effets climatiques évoluent dans le temps et en fonction de la structure forestière.
(Intervenante: Antti Kilpeläinen, University of Eastern Finland)
La forêt en tant que système global et ses répercussions sur le climat
Le bois est une ressource multifonctionnelle utilisable pour de nombreux usages énergétiques et matériels. Une exploitation forestière durable peut ainsi contribuer à lutter contre le réchauffement climatique et l’utilisation du bois peut concourir à diminuer la demande en matériaux exigeants en énergie. Dans les forêts suisses, les réserves de bois sont actuellement en progression et de nouvelles stratégies doivent donc être établies afin d’exploiter les forêts de manière à ce qu’elles contribuent le plus possible à amoindrir le réchauffement climatique. Afin de développer des concepts de sylviculture et d’utilisation du bois optimisés, il est nécessaire d’observer systématiquement l’ensemble de la production et de l’utilisation de la ressource bois en Suisse. Ceci est l’objet du projet de recherche mené par Stefanie Hellweg et son équipe dans le cadre du PNR 66 et qui combine des analyses de flux de matériaux à des ACV. Actuellement, près de la moitié du bois produit est utilisé en tant que source d’énergie, les deux autres quarts entrant respectivement dans la production de papier et dans celle de meubles et éléments de construction. Les données statistiques permettent de déterminer les quantités totales de biens produits et leur impact sur l’environnement. En raison des volumes impliqués, la production de papier et la production de bois énergie jouent un rôle particulièrement important, sachant que les différentes approches d’évaluation conduisent chacune à des pondérations très variables. Il a également été examiné dans quelle mesure la provenance du bois utilisé influençait l’impact environnemental des produits fabriqués. A l’heure actuelle, l’utilisation de bois usagé n’exerce quasiment aucune influence climatique positive étant donné qu’il est surtout remplacé par du bois frais. Les utilisations en cascade peuvent néanmoins exercer une influence favorable sur l’environnement, s’il s’agit de remplacer des matériaux gourmands en énergie et si le cycle de vie du bois se termine en règle générale par une valorisation énergétique. En Suisse, une utilisation accrue du bois aurait donc des effets environnementaux positifs mais uniquement si toutes les conséquences sont prises en considération lors de l’évaluation (par ex., les émissions de CO2 et celles de particules fines), si le bois est substitué à des matériaux exigeants en matières premières et en énergie comme le béton et s’il est utilisé de manière à pouvoir encore servir à produire de l’énergie en fin de vie.
(Intervenant: Florian Suter, EPF Zurich) Dans la perspective européenne, la forêt peut également jouer un rôle considérable dans la lutte contre le réchauffement climatique. C’est ce que révèlent les scénarios élaborés dans le cadre du projet international FORMIT (FORest management strategies to enhance the MITigation potential of European forests). Ce projet vise à développer des stratégies de gestion forestière afin d’améliorer le potentiel de mitigation des forêts européennes. Les calculs effectués se fondent sur une ACV dynamique dont le point de départ était constitué par un inventaire de 49 systèmes forestiers principalement présents en Europe et regroupant différentes espèces d’arbres (des forêts non exploitées aux plantations à courte durée de rotation). Cette base a servi à étudier la répartition spatiale des différents systèmes d’exploitation forestière. Les données recueillies reflétaient les aspects les plus divers de la sylviculture : du parc de machines à la méthode de récolte du bois en passant par le carburant employé, etc. et elles ont permis d’établir les conséquences environnementales (exprimées en équivalents carbone) par hectare des différents types d’exploitation forestière. Les résultats obtenus peuvent être ramenés à l’échelle des différents pays (et, en fin de compte, à celle de chaque habitant). Différenciée dans le temps, l’ACV contribue à une meilleure compréhension de la dynamique des forêts. Elle fait également apparaître que le climat est avant tout influencé par le potentiel de capture du carbone des forêts tandis que les systèmes de gestion forestière jouent par comparaison un rôle moindre.
(Intervenant: Giuseppe Cardellini, Université catholique de Louvain) Une étude visant à établir l’importance future de la forêt et de l’exploitation du bois dans la réduction de l’effet de serre a ainsi examiné quatre scénarios prévoyant une exploitation plus ou moins intensive et une utilisation différenciée (bois énergie ou production de biens). La question centrale consistait à déterminer quelles seraient les conséquences climatiques entraînées par ces scénarios jusqu’en 2030. Les résultats ont révélé que l’exploitation forestière ou l’utilisation de produits à base de bois, telles qu’elles sont encouragées par les objectifs fixés par l’UE dans le domaine de la bioénergie, exerce des effets nettement positifs sur l’environnement ou sur le changement climatique. Si l’on tient compte de l’ensemble de leur cycle de vie, les produits à base de bois présentent ainsi un bilan plus favorable que des biens fonctionnellement équivalents à forte empreinte carbone. Il apparaît de prime abord paradoxal de constater qu’un accroissement des réserves de bois – et, partant, une exploitation forestière fortement réduite – se traduit certes à court comme à moyen terme par des résultats plus que probants en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre mais que ce scénario s’accompagne d’émissions plus élevées en dehors de l’UE, d’un doublement du prix du bois d’ici 2020 et d’un taux de chômage plus élevé dans la sylviculture. L’approche la plus porteuse pour la filière bois consisterait à éviter que le bois fraîchement abattu ne serve en premier lieu à la production d’énergie. L’étude réalisée met en exergue le jeu complexe existant entre le potentiel de capture du carbone de la forêt, les effets climatiques des biens produits et les conséquences écologiques d’une substitution des matières premières dans la mesure où ces différents facteurs peuvent respectivement s’annihiler dans leurs actions. Les mesures politiques de protection du climat doivent donc être élaborées avec la plus grande prudence afin d’éviter qu’elles n’aient des conséquences indésirables. Il faut également tenir compte du fait que la forêt en tant que réservoir de CO2 est soumise à une autre dynamique temporelle que l’effet de substitution résultant du remplacement de certains biens par des produits à base de bois. Selon les observations à long terme, une réduction de l’exploitation forestière induit des effets climatiques néfastes parce que l’effet de substitution des biens à forte empreinte carbone disparaît et que la mortalité des forêts non utilisées est plus élevée. L’horizon temporel retenu doit par conséquent également faire l’objet d’une grande attention.
(Intervenant: Frank Werner, Environnement et Développement)
Conclusions et perspectives
Durant le panel de discussion final, Stefanie Hellweg (EPF Zurich), Klaus Richter (UT de Munich), Martin Riediker (Président du comité de direction du PNR 66), Hansueli Schmid (Lignum) et Frank Werner (Environment & Development) sont parvenus à la conclusion unanime qu’il serait pertinent de remplacer les matériaux à base de produits pétroliers et le carburant par le bois tant que les produits correspondants sont conçus de manière intelligente, présentent une pollution chimique aussi réduite que possible et sont acceptés par les ingénieurs. Il est par ailleurs impératif de dépasser les sphères nationales et de vérifier quelles conséquences l’exploitation du bois et la fabrication de produits entraînent dans d’autres zones de la planète. Il est également important de modéliser la dynamique temporelle des processus impliqués. Les ACV utilisées permettent d’appréhender les liens de cause à effet dans leur globalité. De tels modèles sont néanmoins difficiles à expliquer et le groupe a exprimé la crainte que la complexité des calculs puisse égarer le grand public. Il appartient indiscutablement à la science de représenter aussi fidèlement que possible une réalité complexe mais elle devrait également être en mesure de transmettre ses connaissances à travers des messages simples applicables par chacun. Les scientifiques devraient par ailleurs s’investir d’avantage dans le dialogue qu’ils entretiennent avec les principales parties prenantes afin de comprendre comment les décisions économiques et politiques sont adoptées car ce n’est qu’ainsi qu’elles pourront être activement influencées par les nouvelles connaissances issues des ACV.
Auteure: Lucienne Rey (texterey.ch)